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18/09/2020

Philip Roth : L’Orgie de Prague

Philip Roth, Milan KunderaPhilip Milton Roth (1933-2018) écrivain américain, auteur d'un recueil de nouvelles et de 26 romans est l’un des plus grands écrivains de son siècle. La trilogie Zuckerman enchaîné (L’Ecrivain fantôme  (1981) – Zuckerman délivré (1982) – La Leçon d’anatomie (1985)) est augmentée d’une conclusion, L’Orgie de Prague (1987).

Très court roman ou nouvelle, L’Orgie de Prague, au titre plus provocateur que son contenu, se déroule en 1976. Nathan Zuckerman, après une discussion à New York avec un écrivain ayant fui son pays, accepte de se rendre à Prague pour récupérer les manuscrits inédits d'un écrivain yiddish. Ces documents sont en possession de son ex-femme, Olga, une sulfureuse femme de lettres dépravée et il n’est pas question pour elle de céder ces textes : une vengeance jouissive pour faire souffrir son mari enfui en Amérique avec sa maîtresse…

Lors d’un séjour à Prague en 1971, Philip Roth rencontre Milan Kundera et d’autres écrivains dissidents et pendant cinq ans il reviendra pour quelques jours dans cette ville régulièrement. Chambre d’hôtel sur écoute téléphonique, filatures, mais aussi discussions avec ses homologues intellectuels sur les conditions de vie dans leur pays, “Ils m’ont fait prendre conscience de la différence entre l’absurdité d’être écrivain en Amérique et celle d’en être un en Europe de l’Est, se souvient-il en 2004 dans les colonnes du Guardian. Ces hommes et femmes se noyaient dans l’histoire. Ils travaillaient sous une pression énorme et c’était nouveau pour moi. Ils souffraient pour avoir le droit de faire ce que moi je faisais librement.”

C’est dans ce contexte qu’il faut replacer cet ouvrage au vague fumet de roman d’espionnage : une mission, rapporter un manuscrit inédit, un lieu mythique et chargé d’histoire tragique, Prague, des contacts avec les intellectuels locaux sous la surveillance permanente de tous vos faits et gestes par la police, des paradoxes typiques à ces gouvernements autoritaires, luxure et débauche consenties pour certains, permettant de monter des dossiers ou d’obtenir des informations… Bienvenue en pays communiste !

Sur un fond historiquement douloureux, Roth réussit néanmoins à placer son humour récurrent. Comme cet écrivain qui découvre que son ami, écrivain médiocre, l’espionne pour le compte de la police mais rédige des rapports illisibles ; pour l’aider, il va lui-même écrire les comptes-rendus de ses activités dans une langue mieux tournée ce qui vaut une promotion à son ami effrayé par cette nouvelle responsabilité. En désespoir de cause, notre écrivain se substitue à son ami, devient l’espion de la police incognito et tous deux se partagent les bénéfices de ce petit arrangement entre amis ! Bienvenue au pays de la combine !

Le plus beau personnage du roman est certainement Olga. Se vautrant dans la luxure, connue de tout le pays pour ses excès sexuels, au centre de tous les raouts de la capitale, son personnage sulfureux s’avèrera finalement touchant, ses excès s’apparentant à un suicide causé par le désespoir.

Dans cet ultime volet, l’écrivain reprend le thème abordé précédemment : la fiction ne doit pas être confondue avec la vie de son auteur, c’est vrai pour les écrivains et leurs livres, tout autant que pour les acteurs et leurs rôles au cinéma.   

 

« - Auriez-vous pu rester en Tchécoslovaquie, malgré l’interdiction de votre livre ? – Oui. Mais j’aurais emprunté, j’en ai peur, la voie de la résignation. Je ne pouvais écrire, prendre la parole en public, je ne pouvais même pas voir mes amis sans être arrêté pour interrogatoire. Tenter de faire quelque chose, n’importe quoi, c’est mettre en péril son propre bien-être, et le bien-être de son épouse, de ses enfants et de ses parents. J’ai une épouse là-bas. J’ai un enfant, et une mère qui se fait vieille et qui a déjà subi assez de privations. On choisit la résignation parce que l’on se rend compte qu’il n’y a rien à faire. Il n’est point de résistance contre la russification de mon pays. »

 

Philip Roth, Milan KunderaPhilip Roth   L’Orgie de Prague (Zuckerman enchaîné)   Folio – 74 pages –

Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Carasso